5 septembre 2006
survol de la Meije
Lundi 4 septembre tout petit vent de Nord et grande stabilité. J’ai tenté de repartir en vol bivouac pour deux jours à partir du pas de la Balme. Après un décollage entre les barbules qui collent un peu aux crêtes, je rame sur les faces Est en direction du Sud et ça se termine à Château Bernard dans le Champ juste devant la maison de Fred.
La météo annonce pour demain du grand beau presque sans vent, il me reste mon dernier jour de vacances, je suis entraîné, motivé et je veux finir en beauté. Le retour en stop chez moi fonctionne à merveille. Plutôt que de repartir pour un plouf du soir je plonge dans les cartes, les horaires de bus et je téléphone pour glaner le maximum d’infos. Le choix du jour c’est un massif assez haut, assez sec pour monter en vol même avec une forte stabilité. J’hésite entre le massif du Grand Armet et Thabor et les Ecrins. L’idée lointaine de peut-être un jour survoler les Ecrins s’invite et les horaires de TransIsère décident en faveur de l’Oisans. Coup de fil à Jean-Pierre Sevrez, un copain du club qui bosse dans le coin. Il me renvoie à François Pinatel qui me propose un décollage en Sud-Est du coté de Pied Moutet avec l’espoir de raccrocher sur la Muzelle, ça donne envie. Un autre coup de fil à Bibou qui connaît bien le coin car il travaille à la station l’hiver. Il me conseille plutôt un déco en Sud-ouest en haut du télécabine du Diable avec objectif voler sur les faces Sud en direction de la Bérarde : « tu verras les conditions, tu peux t’engager si tu es assez haut pour assurer le retour, certains sont allés jusqu’à la Barre des Ecrins, c’est une grande face Sud, les thermiques peuvent être costauds »
Je pars juste pour la journée,avec l’intention de rentrer le soir donc pas de duvet, pas de secours car il va falloir pas mal marcher avec la chaleur et beaucoup d’eau, un peu de sel, les doubles lunettes de soleil, l’appareil réflexe.
Mardi 5, à 5 h 30, je me rends compte en relisant les horaires qu’il faut que je sois à la gare à 6 h 50 et non 7 h 25, à 6 h 50 à la gare, je vois que je me suis encore trompé, je trouve seulement un car qui va à Vizille. Mais la chance est avec moi, comme d’habitude. Dans le car, un contrôleur qui est là visiblement pour que la rentrée se passe bien, reconnaît que les horaires prêtent parfois à confusion. Il téléphone au chauffeur du car Vizille Bourg d’Oisans pour demander de retarder le départ de 10 minutes pour son client : moi. Le ciel est tout bouché au dessus de la vallée du Drac, mais ce petit épisode inattendu est pour moi un bon signe. Arrivé à Bourg d’Oisans à 8 h 30, pas de car pour les 2 Alpes, eh oui, c’est fini les vacances ! La chance m’accompagne encore, malgré un peu d’attente, montée à la station avec 4 voitures différentes dont 3 volants ou ex-volants ; mon dernier chauffeur me pose à l’atterro (et déco) au pied du télécabine du Diable. C’est désert, encore à l’ombre, la manche à air pointe vers Venosc.
Je monte lentement pour éviter de fondre avant le déco. La station bien que très peu peuplée résonne des coups de marteau sur les toits et des bip bips des engins de chantier qui reculent, y en a qui travaille ! Après le haut du télécabine du Diable, ça devient carrément caillouteux. Un petit replat avec une flamme qui commence à prendre la bonne direction invite au décollage, mais malgré la chaleur, je préfère monter encore pour assurer le vol. Seule rencontre de la journée, je vois un 4 * 4 au bord d’une piste avec un ouvrier qui cassecroute à l’ombre, la pelleteuse, un peu plus loin prend aussi la pause. A force de monter me voilà en haut du nouveau télésiège du diable à 2800 m. J’inspecte à fond le coin, falaises en Sud, pente en Ouest, granulométrie des cailloux. Bien que seul dans un endroit inconnu, tous les feux sont au vert pour un envol en confiance.
13 h 45, petite bouffe de face, envol rapide, je suis assez haut pour basculer en Sud-Est vers la Tête Moute. 1600 m au dessus du Vénéon (plan du Lac), le thermique ne se fait pas attendre. Le Diable, Tête de la Toura, Le Jandri, l’aérologie est consistante, me voilà bien vite, largement au dessus de la station. Je traverse la vallée de la Selle en direction de la Berarde . Sitôt sur la face Sud de l’Aiguille du plat de la Selle, je me fait grimper. Une belle ravine séche de plus de 1500 m de dénivellé, ça fait un bon chauffage solaire ! Il faut parfois bien incliner et cadencer le virage pour garder la pompe. Plus de 3600 m d’altitude. La ligne de crête derrière l’aiguille me conduit sur le massif du Soreiller, puis la Tête de la Gandolière et Têtes du Replat. Tous ces noms, je les apprends maintenant, pendant le vol, je me contente de chercher les sources de thermiques et les cheminements possibles. Je connais peu le coin, je ne suis qu’un apprenti occasionnel alpiniste. J’ai fait quelques balades dans le parc des Ecrins. Mais la brèche de la Meije, je reconnais bien. La ligne des sommets est suffisamment tourmentée pour souvent offrir une pente bien alimentée en ascendance. Je me rapproche de la grande ligne de Crête Ouest-Est, mais j’estime mon altitude insuffisante pour oser me jeter directement sur les parois Sud de la Meije Je tire à gauche, passe devant le Rateau et je file à l’ouest jusqu’à retrouver des ravines et arêtes en rocher et caillasse pour regagner l’altitude perdue au dessus des glaciers. La Pointe de Thorant surplombe une belle arête et une ravine, une belle pompe fiable. Je me balade longtemps sur l’arête essayant de me hisser jusqu’au Rateau. Ce petit jeu dure plus d’une heure, mais à force de patience, je finis par gagner de l’altitude et de l’assurance . Enfin, devant le Rateau, je fais coucou à un groupe qui glisse sur des belles pentes. 16 h 15, à environ 3600 m, je m’estime assez haut pour me jeter à l’assaut de la brêche de la Meije. Je m’avance contre la paroi, au pied de la pyramide Duhamel , l’ascendance est efficace, mais douce. Le coin est magnifique, les couleurs du soir s’amorcent. Les hautes falaises, les crêtes découpées sur fond de glaciers chaotiques, une visibilité qui permet de voir très loin et l’aile qui m’emmène ou je veux avec délicatesse. Je vis un moment exceptionnel de beauté, d’émotion et en douceur. En moins d’1/4 d’heure je passe au dessus des sommets dont je ne connais que vaguement quelques noms. Ma machine à mémoire photo s’active. Encore un coucou à un alpiniste au sommet du Grand Pic.
Et maintenant ou vais-je ? Les faces Sud au dessus de la grave, les villages : Les Terrasses, Ventelon, je connais bien ces coins, je peux y arriver facilement et me balader sur les pentes Sud-Ouest, je pourrais atterrir sans encombre. De l’autre coté au Sud, la barre des Ecrins avec de sympathiques cumulus qui forment 100 m au dessus de la Grande Ruine, me tend les bras. Les paroles de Bibou me reviennent : « y en a qui sont allés jusqu’à la Barre des Ecrins ». J’ose. 17 h au plafond à la Grande Ruine , schuss vers la Barre . 17 h 10 à l’aplomb du col des Ecrins, les beaux souvenirs du vol des Ecrins, le 29 août 2005 remontent . Face au glacier et à la Barre, je savoure, mais pas trop longtemps, je commence à perdre de la hauteur. L’activité thermique commence à mollir. Sur les faces Ouest vers les Fambeaux des Ecrins plus d’ascendance .
Il est temps de rentrer en profitant d’une altitude respectable pour garder la sérénité. Je glisse sur l’énorme toboggan de Pié Berarde . Photo souvenir à l’aplomb de la Berarde, j’ai encore du Rab, je suis plus haut que la Tête de la Maille (2500 m). Je suis un peu contré par la brise du Vénéon et je me dis que je vais reprendre en dynamique sur des faces Sud-Ouest. J’insiste un peu contre une falaise bien orientée. Pas moyen de gagner plus que quelques dizaines de m. Au dessus du hameau Les Etages, j’hésite à aller poser, il y a des plats bien fréquentables. Je crois avoir assez de gaz pour dépasser St Christophe et poser au Plan du Lac. J’accélère pour gagner un peu de finesse. A l’embouchure du vallon de la Lavey, au dessus de Champhorent, j’avance péniblement et je m’enfonce. Si je réussi à passer le virage de la vallée, je serai au vent de la brise avec des chances de remonter. Et M… ça le fait pas. A la confluence du Vénéon et de la Lavey, je vise un petit prés dans le trou. J’hote les lunettes de soleil car c’est tout à l’ombre. Grosse concentration, virages bien négociés et ouf je pose un peu fort, mais pile au milieu de ce prés qui n’exéde pas les 50 m de diamètre . Pas trop fier de ce mauvais choix d’aterro, je suis heureux d’être posé proprement. Il est presque 18 h, maintenant fissa pour tout remballer et courir vers la route pour attraper les dernières voitures. La montée, je ne me rappelai pas qu’il y avait pas loin de 200 m de dénivelé.
Retour heureux, retour chanceux. La quatrième voiture qui s’arête pour me prendre à Gavet est une amie venue travailler la journée à la Berarde. Joie et bonne humeur concluent ce voyage. Le lendemain j’enverrai en remerciement, la photo aérienne de la Berarde qui devrait être utile. 20 h , me voilà chez moi.
Ce vol mythique, je ne l’attendais pas si tôt, je ne savais même pas si je le réaliserai un jour. Plusieurs conditions ont convergée :
· Une météo superbe : grand beau sans vent. Stable en basse couche et faiblement instable en altitude. Iso 0° à 4800 m.
· Une bonne condition physique, juste après mon vol bivouac et une aisance en l’air, une sacrée motivation.
· Un matériel bien adapté : Une voile ultra-légère qui me va vraiment bien, la Boréa H2 23 m². Le nouveau sac-selette-airbag SUPAIR est un bon compromis de légèreté confort et sécurité. Le petit vario solaire Solario m’apporte un petit plus quand je suis bien haut.(avant, j’en avais pas) . L’appareil photo Nikon D50, un peu encombrant, mais vous appréciez ?
· La chance, là je n’ai pas d’explication ?
Jac, octobre 2006
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