Vous connaissez tous l’adage « la chance sourit aux audacieux ». Il en faut des audacieux pour avoir l’audace de voler dans les cieux…
Et pourtant, la veille au soir, lors de la très solennelle cérémonie de passation du Nain, rares étaient ceux qui croyaient en une météo propice au vol de distance, et même au vol tout simplement ! Les décisions furent indécises – y va, y va pas – car nous avions 3 jours de stage cross en perspective, mais des prévisions terriblement incertaines, et des moniteurs qui nous laissaient le choix dans la date ! Sans plus de contrepèterie, nous décidions de concert de jouer la musique du « on verra bien » : rdv Prévol 8h30 et c’est marre.
Après le traditionnel tour de table pour faire connaissance, décrire nos attentes et expliquer les consignes de sécurité, nous devenions de plus en plus confiants. Les yeux rivés tantôt sur la fenêtre, tantôt sur l’écran où nous construisions le plan de vol, les contours d’une journée suffisamment instable et très volable s’esquissaient… Un plafond à 1500m, 0,9°C de gradient annoncé, des rentrées de sud à partir de 15h annoncées par un voile important : voilà le tableau. Il est envisagé un parcours sur les avant-reliefs de Chartreuse en direction du nord, ce que nous faisons assez rarement… Et bien nous en a pris, ou plutôt bien en a pris nos moniteurs – Cédric et Gilles – de nous le proposer ! Nous décollons tour à tour, nous enroulons tours et tours, puis nous progressons d’arête en épaule, restant au vent, visant les proéminences du relief sans flirter avec pour profiter des « mamans bulle », et ça marche tellement bien que nous passons le long cheminement, et achevons toutes les transitions jusqu’au fort. L’idée suivante était de remonter la pente par palier afin de retrouver le Granier et de le contourner, mais les plafonds ne montent pas, et nous reprenons le chemin inverse… Non sans plaisir ! On repasse au-dessus du déco, on pousse au sud jusqu’au Manival, puis c’est la débandade… Seul David ira voir au St Eynard si j’y suis, mais comme y’avait déjà facile 20km/h de face, devinez quoi, j’y étais pas ! Arnaud et Simon-Pierre se démènent comme ils peuvent après la transition de la combe, puis Bertrand et moi-même les retrouvons, mais personne ne trouve de thermiques intéressants pour s’extraire. On sent bien l’arrivée du voile alors on met les voiles. On est 2 à poser à St Nazaire car on vole depuis 2h45 et on raccroche pas assez au Baure, les autres reposeront sur le plateau. La suite est assez simple : direction la boulangerie pour assouvir nos pantagruéliques appétits et récompenser nos gargantuesques efforts. La séance débriefing avec analyse des traces est prévue le lendemain matin pour laisser au cerveau le temps de digérer ce vol, et à l’estomac de réfléchir au prochain… Cependant, une petite session sous portique conclue un début de stage inespéré, et nous permet de comprendre l’importance du serrage de la ventrale dans le comportement de nos voiles : si vous laissez trop de jeu, vous serez malmené avec des conditions toniques ou venteuses, alors qu’avec une sellette qui épouse le corps au plus près, votre voile et vous serez unis pour la vie.
Le deuxième jour sentait bon la découverte, et les conditions semblaient assez prometteuses. Voilà ce qu’on aurait pu faire : un cross depuis Aiguebelette jusqu’à Montaud, par les faces ouest de Chartreuse, si c’était pas beau ! Mais le vent du nord fait des siennes, et nous devons nous résigner à nous protéger. Direction Montlambert, pour un circuit assez classique mais ô combien instructif : Charvet – La Thuile – Charvet – Dent d’Arclusaz – Rochetorse – Dent de Cons – Rochetorse – Dent d’Arclusaz – Grand Arc – Ébaudiaz – Chamoux. La nouveauté aurait été de s’avancer jusqu’au Col de Tamié pour transiter vers la Dent de Cons, mais le risque de rencontrer une forte confluence de nord était présent et nous essayions aussi de regrouper tout le monde pour voler ensemble. C’est le but de ce stage après tout ! Donc nous retrouvions la foule des grands jours au déco, et c’était grandiose, une vraie manche de coupe du monde.
Certains arrivent mieux que d’autres à sortir, mais il est clair que ça pulse, va y’avoir du sport. On enroule les uns avec les autres, mais c’est aussi dangereux car dans un sens, on est face à la brise, dans l’autre, on dérive à fond, et ovaliser prend alors tout son sens, faut juste garder de sérieuses marges entre pilotes et anticiper les comportements imprévisibles, pas facile ! On est tous d’accord pour dire qu’à La Thuile c’est pas très sain, mais au Charvet ça monte fort et régulier. Certains prennent l’option du Mont Pelat, d’autres transitent directement vers les gencives de la Dent d’Arclusaz via le « Rocher aux oiseaux ».
Alors là on atteint de belles hauteurs, 2400m si je me rappelle bien. On est dans le fameux « premier quart » et on peut avancer tranquille. La plupart d’entre nous atteignons Roche Torse, une proéminence des Bauges reconnaissable à sa belle robe plissée, puis faisons demi-tour. Je rentre par l’étage en-dessous car je commence à grelotter des paluches, puis je remonte de 1000m aux gencives : Sonia, David, Simon-Pierre et Arnaud ont commencé leur transition vers le massif de la Lauzière. Gilles essaie toutes les options pour s’élever à La Dent, Bertrand s’acharne au Charvet, tout le monde donne tout ce qu’il a et applique les consignes. Simon-Pierre pourtant parti le plus haut fait une laisse de girafe au lieu d’une laisse de caniche et ne raccroche pas en face : il avait pourtant raison ! Faut d’ordinaire rester bien à droite parce qu’on est poussé par la brise. Mais ce jour là, la brise s’éteint en vallée et fallait tirer au plus court, ce qu’évidemment les autres ont compris grâce au fusible… David s’extraie le premier au Grand Arc, et pendant que Sonia exploite une option incroyable, il va se promener jusqu’à L’Ébaudiaz avec le moniteur du jour en vol. Arnaud qui suivait pourtant David n’a toujours pas compris pourquoi lui a réussi : autant la veille il avait une clef et pouvait ouvrir toutes les portes du ciel, autant là il aura verrouillé toutes les serrures thermiques pour ne pas qu’on le suive ! Après une lutte acharnée, Arnaud pose donc dans l’entrée de la vallée. Sonia quant à elle s’est risquée à enrouler au-dessus des arbres sur les faces sud – on avait l’indication du moniteur que ça donnait mieux qu’au nord – et c’était judicieux. Le risque c’est de ne plus pouvoir revenir et d’être pris dans le venturi de l’entrée de vallée, mais à ce moment là et ce jour là, ça le faisait, bravo ! Pour ma part, je retrouve Simon-Pierre dans son champs après une transition somme toute vraiment jolie mais sans être parti d’assez haut, à 2150m seulement.
La navette passe peu de temps après, et prend la direction de l’atterro de Chamoux. Il n’y a plus qu’à assister au spectacle donné par les meilleurs d’entre nous, qui ont réussi leur transition depuis le Grand Arc et profitent de ces ultimes instants, après 3h30 de vol.
Les prévisions pour le lendemain sont hasardeuses – je veux dire, encore plus que précédemment – et après 2 jours de stage bien remplis, décision est prise de laisser à la Pentecôte l’Esprit-Sain(t) descendre vers nous et ne pas monter vers lui… Respectons les sacrements !
Pour tout vous dire, et avant de vous laisser admirer l’intrados de la nouvelle voile de Simon-Pierre, permettez-moi de faire un appel d’offre sur le prochain stage cross : il nous faudra l’année prochaine un nouvel organisateur, et je ne saurai que trop vous conseiller d’endosser ce rôle, tout du moins de participer au stage. Celui-ci n’est pas voué au record de distance, l’idée c’est de progresser pour établir un plan de vol, lire une masse d’air, appliquer des consignes pour voler plus loin et en sécurité. Et de se régaler bien entendu !
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