Catextrophe à Gresse-en-Vercors, le retour de la poupée vaudou

par | 14 Mar 2025 | Retour d'EXpérience | 2 commentaires

J’ai déjà vu ça quelque part…
Une certaine ressemblance non ?

Mercredi 5 mars 2025, nous décollons du Moucherotte avec tout un groupe de pilotes du club. Ce n’est pas le Vercors des grands jours et nous nous retrouvons souvent bien en dessous des falaises, vers 1800m.

C’est le cas en arrivant vers Gresse-en-Vercors, dans les faces orientées un peu Nord qui ne donnent en général pas grand-chose. Je vole près du relief, à environ 15 m/sol. Il y a une petite épaule qui cache ce qu’il se passe plus loin. Je passe l’épaule, et rapidement après je vois un câble en face de moi, à environ 3 m devant. J’enfonce une commande au hasard en reflexe, la droite (parce que je suis droitier ?), sauf que le câble n’est pas perpendiculaire à ma trajectoire mais il penche vers la droite, donc je fonce encore plus dedans. Je pense que si j’avais tourné à gauche ça n’aurait pas changé grand-chose. J’étais beaucoup trop près pour espérer éviter la collision.

Le câble est au niveau de mon torse au moment de la collision. Je l’attrape avec mes mains et suis suspendu en l’air. Le câble est à 15/20 m du sol à cet endroit. Je me dis qu’il faut que je passe une jambe par-dessus pour tenir plus longtemps. Mais en cocon c’est technique. Je me dis qu’il faut que je clippe un de mes mousquetons au câble (aucune chance de réussir à faire ça). Au bout de quelques secondes seulement je lâche le câble. Je ne me souviens plus exactement pourquoi, je pense que les oscillations du câble et le fait que j’avais des moufles de ski n’ont pas aidé. C’est surement pour le mieux car je n’ai pas eu le temps d’avoir trop peur.

En tombant j’essaye de sortir les pieds du cocon (c’est ce qu’on m’a appris à l’école pour faire des atterrissages réussis). Rapidement la chute s’arrête. La voile s’est emmêlée autour du câble de manière bien solide (surement grâce à ma poupée vadou porte bonheur). Je décris ma situation en radio. Mehdi et Guilhem me répondent qu’ils aimeraient bien voler tranquille de temps en temps sans avoir à gérer mes incidents me demandent si j’ai besoin d’aide. Je leur dis que non car je ne pense pas qu’ils aient une échelle de 10 m dans leur kit arbrissage, donc ils ne pourront rien faire pour moi (je suis à un peu moins de 10 m du sol).

Je réfléchis quelques minutes à des options pour redescendre tout seul. Je pourrais sauter mais ça fait haut quand même. Il y a un peu de neige mais pas assez pour amortir une chute. J’ai un petit rouleau de suspente, une scie pliable, 1m de sangle et un mousqueton. Je laisse au lecteur le loisir de chercher comment j’aurais pu faire. Pour ma part j’ai vite abandonné. J’avais déjà eu de la chance de m’en sortir indemne, ça aurait été dommage de se faire mal en essayant de jouer à McGyver. Et en plus il fallait que je rentabilise ma carte de fidélité au PGHM. J’ai donc appelé le 112.

En attendant l’hélico, je reçois un appel vidéo de Théophile qui mange une pomme au soleil. Il veut s’assurer que je fasse des images pour la soirée nain. Ensuite c’est Jean-Jacques qui m’appelle et me raconte son cross. Bref, pas le temps de s’ennuyer. C’est aussi ça l’esprit club.

Quand l’hélico arrive enfin, les secouristes commencent à réfléchir. Ils essayent d’abord de m’hélitreuiller, mais même en déroulant le câble du treuil au maximum, avec l’hélico à 90 m au-dessus de moi, le vent fait trop bouger le câble et ils ont peur que ça lâche. Le vent fait aussi bien bouger ma voile. Ça n’est pas très rassurant.

tentative d’helitreuillage
dépose du premier secouriste

Ils changent donc de stratégie. L’hélico s’en va et le secouriste au sol met un poids au bout d’une petite ficelle, qu’il essaye de jeter au-dessus du câble.

Au bout de quelques essais il réussit. Il peut donc accrocher une vraie corde au bout de sa ficelle et la faire passer au-dessus du câble.

À gauche : la corde des secouristes

Pour ne pas abimer la corde, on la fait ensuite passer par dessus ma voile (🥲).

Maintenant que j’ai accès à une corde solide, les secouristes accrochent deux mousquetons au bout de la corde et je les clippe à ma sellette. Je suis donc assuré !

Petite considération physique : jusque-là, j’exerçais un poids d’environ 80kg sur le câble. Mais maintenant que je suis assuré du bas, c’est le double ! (à cause de l’effet poulie). Si la solidité du câble avait été douteuse, il aurait peut-être été plus prudent de m’envoyer de quoi faire un rappel ?

La prochaine étape est de me faire redescendre au sol, mais pour ça il faut d’abord que je détache la sellette des élévateurs. Ce n’est pas facile parce que je suis en tension dessus. Les secouristes m’envoient donc une sangle et un mousqueton avec lesquels je fais un machard et une pédale. Je galère mais j’arrive au bout d’un moment à me détacher de mes deux élévateurs.

Celui-là était facile, l’autre m’a pris au moins 5min

Ils peuvent ensuite me mouliner jusqu’au sol. Au total j’ai passé environ 1h45 suspendu à mon câble.

Une vue qui donne une bonne idée de la hauteur

Il faut maintenant récupérer la corde sauf qu’elle est coincée dans la voile ! Les secouristes contactent la station de Gresse-en-Vercors et leurs demandent de mettre en marche le Catex pour remonter la voile jusqu’au poteau le plus proche.

Entre temps l’hélico est venu me chercher et m’a déposé à la station de Gresse. Une fois la voile récupérée les secouristes partent en hélico avec ma voile et me laissent à Gresse. Je rentre en stop à Grenoble et récupère ma voile au PGHM deux jours plus tard.

Elle devait être bien emmêlée parce qu’ils ont dû couper toutes les suspentes. La voile est bien abimée avec pas mal de trous et des parties brulées par le frottement du câble.

Conclusion

Je ne sais pas trop quel enseignement tirer de cet incident, à part qu’il faut savoir où sont les câbles (et peut-être voler un petit peu plus loin du relief).

Il y a deux aspects technologiques qui auraient pu éviter la collision :

  • J’utilise xctrack comme instrument de vol. Xctrack a une fonctionnalité d’alerte quand on s’approche d’un obstacle. Évidemment tous les obstacles du monde ne sont pas répertoriés. Ce câble ne l’était pas. J’ai donc contacté xctrack et je leur ai fourni les coordonnées GPS des deux Catex de Gresse. Le lendemain, ils étaient visibles dans l’appli. Ils sont très sympas et réactifs donc il ne faut pas hésiter à les contacter pour ajouter des obstacles.
  • On utilisait Zello en plus de la radio pour communiquer en vol. Adrien a vu le câble et l’a signalé sur Zello. Malheureusement j’avais changé de téléphone récemment et je venais de réinstaller Zello dessus. Il devait être mal configuré par ce que je n’ai pas entendu les messages.

La trace : https://www.xcontest.org/world/en/flights/detail:baptiste.marchand/5.3.2025/09:57

En 3D avec les traces des pilotes qui étaient devant moi (Adrien, Mehdi, Augustin) : https://www.sportstracklive.com/en/scene/09dec789-1d56-46c9-a735-e36820396b2f/

Au moment de l’impact avec le cable

Je remercie les équipes du PGHM pour le secours, et la station de Gresse-en-Vercors pour leur mobilisation et leur aide pour récupérer la voile.

P.S: en y réfléchissant et en discutant avec des membres du club j’ai réalisé qu’il y avait peut-être moyen de s’en sortir sans appeler l’hélico : en sortant mon secours et en le laissant tomber sous moi, j’aurais surement pu glisser le long des suspentes jusqu’au sol, quitte à sauter les derniers mètres si pas assez de longueur.

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